Le pouvoir subversif des soins palliatifs

Les soins palliatifs sont nés subversifs il y a plus de 30 ans.

Les fondateurs de la SFAP sont des rebelles. A l’heure où la science pouvait croire (ou laisser croire) que la mort serait bientôt dépassée, ils sont venus interroger la médecine, notre système de soins et notre société tout entière. La mort est l’horizon de toute vie, comment aider à vivre à l’ombre de la mort ? Comment entendre l’homme souffrant et la globalité de sa plainte ? Serons-nous là, collectivement, pour dire à celui qui s’en va qu’il a du prix pour nous et qu’il va manquer à notre communauté d’hommes ? Ils ont refusé une médecine de plus en plus technique qui divise et qui morcelle l’homme, son cœur, son foie et son cerveau comme si tout cela n’avait rien en commun, comme si l’on pouvait soigner les organes sans rien vouloir voir ou savoir de la personne et sont venus dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur. 

Alors non, Les soins palliatifs ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort, ils sont d’abord une philosophie qui place la relation humaine au cœur du soin.

Ils sont un éloge de l’interdisciplinarité parce que nous sommes plus intelligents à plusieurs que tout seul en donnant la parole à ceux que l’on entend si peu, ceux dont la crise du Covid a montré la place essentielle.  Parce qu’un médecin et une aide-soignante n’écoutent pas, ne parlent pas comme une infirmière et un psychologue, nous devons croiser nos regards, nos expériences et nos langages pour penser ensemble et créer de l’intelligence collective. Plus subversifs encore, dans ce monde parfois fermé qu’est l’hôpital, les soins palliatifs ont fait entrer des bénévoles formés à l’écoute qui viennent dire que l’homme souffrant ou mourant n’est pas seulement l’affaire de la médecine ou des soignants mais bien de toute la société. Combien de sociétés savantes ont dans leur conseil d’administrations des infirmières, des aides-soignantes, des bénévoles et des philosophes ? 

Ils sont un éloge de l’équipe parce que ce métier est difficile. Nous faisons avec nos patients un bout du chemin, le bout de leur chemin. Ils partent mais nous devons revenir. En bon état si possible pour pouvoir repartir à nouveau avec d’autres. Ce chemin ne s’emprunte qu’en équipe, encordés, liés les uns aux autres pour retenir celui qui tombe ou qui irait trop loin. 

Ils sont un éloge de la lenteur dans un monde qui va toujours plus vite en accordant au temps donné, passé, partagé, une place essentielle. Prendre le temps de s’écouter, de se comprendre, de construire avec les patients et leurs proches les solutions qui leur conviennent. Préférer toujours le sur-mesure au prêt à porter (ou au prêt à penser), l’artisanat à l’industrie et le singulier au pluriel. 

Ils sont un éloge du regard. Le regard que nous portons les uns sur les autres. Ce regard qui peut mépriser, dévaloriser ou ignorer mais qui peut aussi soigner, respecter ou humaniser. 

Ils sont un éloge et un aveu de faiblesse dans une société qui valorise le contrôle, le pouvoir et la force et ils en sont fiers. Un service de soins palliatifs est un lieu d’observation privilégié des fragilités humaines. La technique, la performance, l’argent sont des moyens utiles certes, mais qui ne sauraient durablement nous préserver de l’expérience de la précarité de notre condition. Nos patients sont fragiles et vulnérables comme le sont leurs proches dans ces moments de détresse. Ils évoquent la mort, la souhaitent parfois puis parlent d’autre chose, de projets et d’espoir. Ils sont ambivalents, comme nous le sommes tous souvent. Se tenir droit face à la mort jusqu’au bout, la regarder venir et même la demander est difficile et rare. Seuls des gens forts en sont capables. Les soins palliatifs sont un choix de société : Non pas une société ultra libérale de l’individu autonome, indépendant de tous, maîtrisant sa vie et sa mort mais une société de la solidarité et de l’interdépendance prête à secourir la fragilité, une société du Care. 

C’est pourquoi la SFAP, forte de ses milliers d’adhérents, soignants et bénévoles, travaille sans relâche à développer les soins palliatifs pour mieux soulager, faire progresser la recherche, et former toujours plus d’étudiants de professionnels et de bénévoles. Les progrès sont immenses et c’est une véritable révolution palliative qui est en cours depuis 30 ans.

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